Léo me demandait des histoires de chasse. J'en ai déjà pleins, j'ai vu ici en 3 semaines quasiment plus que, ce que j'ai vu en France en 5 ans. Je vais vous en raconter deux en particulier.
Bien entendu je vous raconte les plus marquantes, mais elles ne sont pas représentatives de ce qui se passe quotidiennement à la maternité. La plupart des femmes accouchent très bien et leurs enfants vont bien. D'ailleurs j'ai remarqué qu'il y a beaucoup moins de déchirures ici que chez nous. L'allaitement est une évidence et l'idée de manquer de lait n'effleure aucun esprit. Il faudrait revoir la vision de l'allaitement en France et prendre des enseignements auprès des africaines.
Avant de vous raconter les deux histoires qui suivent, je vais commencer sur une note positive, ce matin j'ai enfin deux beaux accouchements, les enfants allaient très bien (enfin avec une petite réa pour l'un d'entre eux) et les mères aussi. Cela m'a fait un grand plaisir et du bien au moral après les journées éprouvantes que l'on vient de passer.
Je vais volontairement commencer dans l'ordre inverse de la chronologie de ces histoires, afin de finir sur une note positive.
Jeudi, j'ai vécu ce que je redoutais le plus, j'ai mis en péril la vie d'une femme, par une absence de diagnostic.
Cette femme s'est présentée à la maternité accompagnée de sa mère et de son unique enfant, qu'elle avait eu quelques années plutôt par césarienne. Ainsi, comme vous l'aurez compris elle avait un utérus cicatriciel donc plus fragile, nous n'avions pas de renseignements sur sa césarienne précédente. Elle ne parlait pas français et seulement Amos comprenait sa langue. Sans trop comprendre quel avait été son parcours avant d'arriver chez nous, nous l'avons admise. Je l'ai examiné et ai décidé de tenter une épreuve du travail ( de tenter l'accouchement par les voies naturelles) , on ne percevait pas les bruits du cœur de l'enfant, je ne voulais donc pas créer un utérus encore plus fragile pour enfant mort. Elle avait mal, il me semblait comme une femme en travail, la poche des eaux était rompue, mais aucun liquide ne coulait. Je l'ai surveillé régulièrement (toutes les heures), le col se dilatait de façon satisfaisante 1cm/h, la tension restait bonne 10/6 et le pouls était au environ de 100, pas exceptionnel pour une personne qui a mal.
La journée c'est déroulée ainsi avec une dilatation acceptable, cependant je n'étais pas tranquille et l'inquiétude m'a tenu toute au long de la journée. En revenant de la pause déjeuner, EWEKE m'a faire part de ses observations, pour elle la femme avait rompu son utérus, elle trouvait que la paume de sa main blanchissait et qu'elle avait des signes de défenses quand on lui touchait l'abdomen. Elle m'a raconté l'histoire d'une femme qui avait rompu son utérus, le sang avait coagulé dans le ventre et elle était morte quand on avait fait l'incision. Tout ça pour vous dire que mon inquiétude étaient loin d'être diminuée. J'ai décidé alors de tester son anémie et de déterminer son groupe sanguin, au cas où on devrait faire une transfusion. EWEKE a discuté avec sa mère d'une transfusion, sa mère (probablement malnutri ne voulait pas lui donner son sang, si le besoin venait à apparaître, car elle se sentait trop faible).
A 17h la femme était à dilatation complète, ce qui me rassurait un peu, la tête par contre ne descendait pas. Je croise Thierry le médecin en charge de la maternité. Je lui parle de cette patiente (qu'il connaissait pour l'avoir vu le matin) et il décide de faire la césarienne. Mais 17h est l'heure où les services se vident et le chirurgien n'était pas sur place, ni à Tokombéré d'ailleurs. Nous avons donc attendu qu'il rentre. A 20h30, nous sommes rentrés dans le bloc, la femme était en état de choc avec une TA : 6/4. Il fallait donc la transfuser avant de commencer l'opération. Gornet le chirurgien a été discuter avec la mère (lui aussi connaissait leur langue) il a convaincu la mère de donner son sang. Pendant que Amos prélevait le sang, je suis allée finir une suture d'une femme dont il venait de finir l'accouchement, de retour au bloc, l'opération avait commencé. L'enfant était bien mort et même macéré, l'utérus était rompu ainsi que la vessie. La femme a failli mourir, mais grâce aux chirurgiens et à l'anesthésiste qui la maintenu à une bonne tension, grâce à de l'adrénaline, elle a tenu le choc, sa tension est remontée et elle est toujours vivante actuellement. Comme dit Thierry elle est très résistante. L'opération c'est fini à 1h30 après une hystérectomie (ablation de l'utérus) et la réparation de la vessie.
Elle est actuellement en service post-opératoire, elle tient le coup, mais elle est abandonnée par son mari et ici quand votre mari n'est plus là vous n'avez plus de ressources.
C'est une histoire qui finit bien et j'en retiendrais deux choses, suivre les conseils d'EWEKE, elle est l'exemple vivant des gens qui n'ont pas été à l'école, ont appris à lire et compter avec le temps, mais qui ont une grande expérience des choses et sont souvent de très bon conseils, des sages sans en avoir l'air. Deuxième conclusion, ce que j'ai appris en France il ne faut pas seulement l'adapter aux moyens que l'on a ici, mais aussi à l'histoire des patients et ce sera le plus difficile.
La deuxième histoire, elle est à mon sens une de mes victoires.
Quelques jours avant l'histoire précédente, nous avions reçu une femme, qui estimait sa grossesse à 5 mois avec une HU à 36cm (HU= hauteur utérine, sa mesure permet d'estimer la date de la grossesse, or pour une grossesse à 5 mois la HU est d'environ 22cm et à terme à 32cm) vous comprendrez donc notre malaise. De plus au capteur ultrasons, nous avions trois foyers de bruit de cœur fœtal, nous soupçonnions donc une grossesse multiple, sans savoir si elle était triple ou gémellaire. La femme était hospitalisée pour une asthénie importante (une grande fatigue) et une grande anémie. Nous avons mis en place la traitement de quinine (traitement contre le paludisme) et le traitement contre les contractions (salbutamol en comprimés, le pharmacie étant en pénurie de salbutamol intra-veineux pour l'instant), son état ne s'améliorait guère et le jour où se passe l'histoire, elle voulait rentrer chez elle, mais comme je vous ai déjà dit la nature est très bien faite et le travail c'est déclenché (vous comprendrez après pourquoi je dis que c'est bien).
Son col se dilate jusqu'à 2cm avec des contractions régulières, et stagne à cette dilatation. La poche des eaux bombait et nous n'avions plus de bruit de cœur fœtal. Ici ils considèrent que le travail commence à 4cm et ne rompent pas la poche des eaux avant (chez nous on considère que le travail débute à 2cm et la rupture de la poche des eaux est un moyen de déclencher le travail). Je discutais de cela avec Thierry et suggérait de rompre la poche des eaux, il ne semblait pas convaincu par cette idée. Pendant ce temps EWEKE me faisait part de son avis, selon elle la femme n'avait une grossesse multiple, mais un hydramnios (une trop grande quantité de liquide amniotique) et que c'était cela qui provoquait la grande HU et l'accouchement prématuré. J'étais contente que le travail commence, car au vue de l'état de la femme, elle n'aurait pas pu mener sa grossesse à terme.
A 13h le col, ne s'étant pas dilaté plus que 2 cm (depuis 3h de temps), je décidais qu'au retour de ma pause déjeuner (cette fameuse pause déjeuner, qui me permet de réfléchir au calme sur les situation en latence à la maternité et donc de prendre du recul) je romprais la poche des eaux, je le disais à Thierry, qui m'a répondu de faire comme il me paraissait le plus juste.
De retour à 15h, je fais cette fameuse rupture de la poche des eaux et là une quantité de liquide amniotique comme je n'en avait jamais vu, deux bassins entier et la HU est passée de 36cm à 26cm en 5 minutes, un liquide sanglant (il y avait donc du sang émis dans la cavité utérine). Toujours pas de bruit du cœur fœtal, et la dilatation a repris. Mais la femme a plongé dans un état de choc (TA : 6/4), il fallait encore une fois transfuser rapidement. Elle était de groupe O+ et ses 4 accompagnants ont été testés pour la transfusion, la seule qui aurait pu donné avait l'hépatite C ( on teste la compatibilité sanguine, ainsi que le HIV, les hépatite B et C), il n'y avait donc pas de donneur possible. Me sachant de groupe O+ et sachant que ça se fait ici de donner son sang, je suis allée au labo pour tester ma compatibilité et j'ai donné mon sang. C'est Amos, qui a fait le prélèvement et pendant que la poche se remplissait, il m'a confirmé que tous les membres de l'hôpital qui le peuvent, ont déjà donner au moins une fois. Lui-même avait déjà donner plusieurs fois et le faisait si le besoin se présentait en respectant un délais de 3 mois entre les dons.
Pendant que nous remplissions la poche (il était déjà 17h30) la femme a accouché et quand j'ai vu ce qui est sorti j'ai été très contente d'avoir décidé de cette rupture de la poche des eaux. En effet, l'enfant était extrêmement malformé au niveau des parties buccale et laryngée, avec une énorme tumeur, ce qui expliquait l'hydramnios, l'enfant ne pouvant avaler le liquide amniotique.
Voici une belle réussite et la femme s'est très vite remise après, elle est d'ailleurs sortie vendredi (l'accouchement s'est fait mardi) très heureuse et en quasi pleine forme. Temwa, qui l'avait reçu au dispensaire en consultation, m'a dit plus tard que cette femme lui avait signifié que cette grossesse n'était pas normal et pas bonne.
Faire confiance à la nature, aux femmes (et à EWEKE)
J'adore ce genre d’article ! (ceux des anecdotes de ton travail)
RépondreSupprimerJ'avais déjà été passionné (et ému) lors du premier, là je lis avec avidité pour connaitre de le dénouement.
Je suis content que ça ce soit bien terminé et que ces expériences ce soient bien passées.
Pour la pause déjeuner et ce moment important pour prendre du recul et réfléchir à des situations difficiles, ça me fait penser à Urgences et Scrubs. :p
J'ai dans l'idée que la baisse de tension et la rupture de cet énorme hydramnios ne sont pas sans lien.
RépondreSupprimerMais je ne sais pas pourquoi ....